jeudi 11 octobre 2012

Ergonomie et Clinique de l'Activité

     Mise à jour  03/12/2012

     Cet article est tiré de la revue électronique @ctivités. Plusieurs caractéristiques récurrentes à celles que les professeurs d’ergonomie veulent transmettre dans la formation initiale. Le contexte dans le lequel Simonet, Caroly et Clot [1] ont collaboré à cet article s’inscrit dans le cadre d’une mission du ministère du travail sur la prévention durable des troubles musculo-squelettiques (TMS). L’originalité de l’article se trouve dans la façon de présenter deux démarches. En utilisant le dialogue interdisciplinaire comme principal outil, l’ergonome  de l’activité (E) et le clinicien de l’activité (CA) échangent  leurs différents points de vue qui paraissent, au fil de la lecture, très complémentaires.
L’activité des fossoyeurs dans un cimetière a été choisie comme terrain d’observation par le service de médecine du travail d’une grande ville. C’est une population chez laquelle a été diagnostiqué 12% de TMS aux membres supérieurs et 24% de lombalgies.


A partir de cette commande, la première chose a été de constituer un comité de pilotage (Copil) pour organiser des échanges interdisciplinaires autour de la prévention et du travail. Le Copil réunissait un médecin et une infirmière de travail, un responsable  de médecine préventive, deux conservatrices des cimetières, un chef de service, l’ingénieur prévention des risques, un animateur prévention, et enfin le CA et l’E. Cela permet de privilégier un espace-temps de confrontation et de délibération.
La demande résultante de ce projet est la production d’un référentiel d’activité comme moyen de formaliser les échanges. Un aspect de la démarche constructive se révèle dans cette réflexion : « La demande n’est pas un préalable à l’action. Elle se travaille dans l’action. Elle est action et se révèle par l’action. ». Ainsi des échanges entre fossoyeurs et médecin du travail ont nourri l’élaboration de la demande.
L’observation du travail s’est centrée sur le creusement de la fosse selon le souhait des fossoyeurs. Cette tache est réalisée en binôme ; l’un creuse et l’autre pousse la brouette. Ce creusement est sous-composé en 4 taches (démolir un monument funéraire, exhumer une fosse, inhumer et creuser une fosse). Mais le travail ne se résume pas seulement au creusement, le fossoyeur est aussi soumis à des émotions liées à la confrontation quotidienne aux corps en décomposition, à la tristesse des familles.
Les auteurs rappellent que l’observation est « la partie centrale et originale de l’analyse ergonomique du travail » [2] (Wisner, 1994, p82). Elle analyse les comportements d’action sur l’outil, les postures et les gestes, les prises d’information, les déplacements, et les communications. Se confondent deux types d’observation l’une globale et l’autre systématique. Les paramètres propres à la problématique des TMS sont de recenser des contraintes biomécaniques, relever les éléments d’activité collective et noter des modalités d’organisation de l’action. Ces actions entendent dépasser la séparation qui pourrait exister entre les approches cognitives du psychologue et les approches comportementales de l’E.
En ce qui concerne le CA, ce dernier fait de sa présence, à la différence de l’E., un moyen de dénaturaliser la situation en inversant le statut de l’observateur. Il cherche à développer l’observation de l’observé sur sa propre activité. Pour alimenter la discussion, il se constitue une sorte de stock d’étonnements qu’il mobilisera ou non.
Après avoir réalisé une première série d’observations, le moment était venu d’organiser une confrontation entre les fossoyeurs. La volonté résidait en les faire discuter entre eux à partir de ce qu’ils vont s’entendre s’adresser. Les observations ergonomiques très quantifiées provoquent beaucoup d’étonnements. L’écart entre leur ressenti et la réalité des chiffres permet d’animer le débat. Des données supplémentaires sur le danger de certaines activités ressortent également du dialogue. De cet échange, l’E. a pu construire les modalités d’une co-analyse entre chercheurs et opérateurs car ces dispositifs visent à appréhender les compétences de chacun. Le CA a pour sa part l’ambition de provoquer l’investissement des protagonistes dans un dialogue sur des questions de métier. Il entend se mêler de la discussion pour maintenir la dynamique du débat amorcé. Ce terrain est propice pour chercher à créer les conditions d’implantation d’un dispositif méthodologique d’observations, confronter l’activité réalisée du réel de l’activité, en somme poser les fondations d’une démarche préventive. Il en résulte de ces confrontations successives que les chefs changent leur feuille de route en ajoutant l’activité d’analyse. Cela installe l’engagement des fossoyeurs volontaires dans la prévention durable des TMS et l’analyse de l’activité comme instrument de prévention. L’entretien collectif permet souligner les comparaisons et éloigne le mode  « chacun fait à sa manière » avec son caractère routinier souvent délétère pour la santé. L’objectif n’est pas de construire une norme collective autour d’un geste adapté, mais plutôt de permettre à chaque sujet de mieux réaliser sa stratégie et celle de l’autre afin de créer de nouvelles marges de manœuvre.
Concernant le débat scientifique sur l’interdisciplinarité, le CA a reconsidéré sa manière d’observer les gestes ordinaires du travail avec une méthode plus quantifiée et l’E tire les enseignements des méthodologies de l’auto confrontation dans une perspective de prévention des TMS. C’est aussi dans un mouvement dialogique contradictoire que le métier montre quel genre d’instrument psychologique il peut potentiellement devenir pour la santé de chacun.
L’interdisciplinarité est plus efficace en cherchant à devenir un moyen d’organisation dans l’espace de délibération. Cet article souligne aussi les moyens, ici le dialogue interdisciplinaire, véhiculés par l'ergonomie pour faire ressortir les valeurs convergentes à promouvoir à celles qui peuvent diverger. Ceci dans un objectif du "travailler ensemble".

Dialogue :

    Plutôt que de critiquer le contenu, l'intérêt pourrait être de connaitre les motivations à lire un article "rééllement" co-écrit. Cela peut offrit les prémices d'une discussion sur le partage des connaissances. Un texte soumis à  deux plumes différentes devient le reflet du compromis sur les compétences de chacun au service d'un objectif commun : l'opérateur à travers son activité. La pluridisciplinarité est devenu un faire-valoir de beaucoup d'entreprises, toutefois sans pouvoir être mise en action pratique dans leur activité professionnelle. L'un des intérêts de cet article provenait du fait que ces auteurs ont voulu se soumettre au regard de l'autre afin de promouvoir mutuellement leur spécificité et rendant par la même occasion plus efficace leur action auprès des opérateurs. En effet, les fossoyeurs mettaient régulièrement en valeur les actions pertinentes de l'Ergonome et du Clinicien de l'Activité dans la volonté de prolonger leur démarche préventive. Ce concept de pluridisciplinarité devient alors intéressant d'un point de vue extérieur et le lecteur peut  objectiver les qualités respectives de chaque intervenant. 
     Et puis, comment se définit l'ergonomie ? Pour les experts en physiologie musculaire et biomécanique, l'ergonomie pourrait se résumer autour de l'expression des "gestes et postures". Les programmes de prévention posturale se multiplient dans le monde de l'entreprise en terme d'éducation et de formation auprès des salariés. Mais l'ergonomie ne concerne pas ce seul champ d'action restreint. Il est bien plus vaste et notamment il s'agit d'agir sur l'observation de l'organisation du travail. Pierre Pavageau, enseignant en ergonomie à Paris Sud Orsay, défend l'idée que "tous les gestes sont bons d'un point de vue opératoire" quand il s'agit de parler de posture. Ce point de vue opératoire est un abord de la question posturale qui se distingue de la posture coûteuse étudiée en biomécanique. Il apparaît que les motivations opératoires deviennent déterminantes qu'elles soient positives ou négatives. Il convient alors de comprendre comment l'opérateur va pouvoir les percevoir dans sa gestuelle et sa posture. Les biomécaniciens peuvent se rendre compte que si leur action parait incontournable pour lutter contre les TMS en terme de compétences physiologiques et d'éducation posturale, ils ne peuvent à eux seuls faire le tour de la problématique. Les motivations du gestes et à travers elles les répercutions sur l'opérateur et son travail à réaliser doivent être observées. L'article, dans sa partie ergonomique, promeut régulièrement la nécessaire observation de l'activité comme rôle central du métier. Ce principe de base est  fortement soutenu par Wisner mais l'observation de l'activité ne résume pas à lui-seul l'ergonomie car c'est un abord observé dans beaucoup de métier de l'activité humaine comme en rééducation, en sport, en enseignement. Ce même Wisner présente l'opérateur comme n'étant " plus l’exécutant fautif de l'activité prescrite mais [...] le créateur permanent de sa propre activité qui dépend de ce qu'il comprend de sa propre situation de travail". Cette distinction entre tache prescrite et activité réelle confère l'intelligence de l'opérateur et donne à l'ergonome sa pleine mesure d'investigation.

NS.

[1] Simonet, P., Caroly, S, & Clot, Y. (2011). Méthodes d’observation de l’activité de travail et prévention durable des TMS : action et discussion interdisciplinaire entre clinique de l’activité et ergonomie. Activités 8(1), PP. 104-128.
[2] Wisner, A. (1994). LA cognition et l’action située : conséquences pour l’analyse ergonomique du travail et l’anthropotechnologie. Actes de l’IEA, Vol 1,pp. 80-96

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