mardi 24 septembre 2013

To be lean or not to be lean hospital, that is the discussion


Ici, le titre anglo-saxon est voulu car l’implantation Lean a trouvé son terrain d’application dans ces pays où les hôpitaux sont régis par des systèmes de santé comme le modèle nord-américain(Cima, 2011; Mullaney,2010). Ce débat soulève la question du profil client du patient presque prédominante dans ce dit modèle. D’autant plus que la « demande du client » justement détermine tout le mode de production dans la démarche Lean. Mais les intérêts de clientèle ont toujours été  dans tous les modes de gestion de santé. Ils ne sont « pas critiquables en soi, tant qu’on ne leur donne pas la priorité sur les intérêts des soignés » (Froment, 2001).


Le Lean hospital entend vouloir intervenir sur les notions de gestion de gaspillage, de limitations des déplacements, de réduction de temps d’activité du soin. L’enjeu ici n’est pas d’analyser de manière exhaustive les différents paramètres que ces 3 principales notions sous-entendent. A l’image du modèle d’activité du « soigner aux » 5 carrés, il s’agit de démontrer l’apport de l’observation ergonomique dans un process organisationnel tel que le Lean.

Exemple de la gestion du temps dans la relation soignante

C’est un indicateur connu de tous les hôpitaux mais qui est très peu reconnu dans leur performance. Tout d’abord la notion du temps pour le soignant a un aspect paradoxal. La forme la plus usuelle de la disponibilité temporelle du soignant consiste à laisser la relation soignant-soigné prendre le développement nécessaire au bien du soigné sans lui fixer, à priori, de bornes. Le Lean aura du mal à se développer car ses fondements sont totalement remis en cause. D’un autre côté « c’est souvent seulement par le temps qu’il lui consacre que le soigné peut mesurer l’intérêt que le soignant lui porte » (Froment, 2001). La notion Lean s’y retrouve plus facilement par cet aspect où quantifier le temps serait un indicateur nécessaire à la possible efficacité de la relation même si quantifier le soin reste tout de même encore très difficile à réaliser (Berczuk, 2008)
Mais il y a aussi le temps d’écoute du patient, primordial dans la relation qui connait une variabilité conséquente. Par exemple, si le médecin pose des questions selon la technique de la prise d’une anamnèse, il obtiendra toujours des réponses, mais presque rien d’autre. Avant de pouvoir arriver à ce que Froment appelle un diagnostic approfondi, il doit apprendre à écouter. (Balint, 1960). Ici, trouver des indicateurs permettant au Lean de se développer car l’écoute comme le souligne Kleinman est « un acte moral et non un procédé technique » et donc difficilement objectivable en termes de production de travail. Le temps nécessaire pour acquérir les informations pour le soignant aurait pu être évoqué dans l’aspect très variable et la nécessaire collaboration Lean-ergonomie que cela impose.

Le patient est un client ? pour qui ? pourquoi ?

Ce phénomène de clientèle, cher au Lean,  est capital pour comprendre une source particulière de résistance à la participation de la personne soignée aux décisions la concernant (Froment, 2011). En effet, tous les soignants vont considérer le patient comme le sujet de la raison à produire un travail et non pas comme une relation soignante du travailler-ensemble. Cette notion est renforcée par la loi du 4 mars 2002 relatives aux droits des malades et cela peut devenir une des limites de l’implantation du Lean. Cette loi a réalisé un tournant dans le statut du patient et le responsabilise le client-patient par l’idée du devoir sous-entendu : devoir de savoir, de collaborer, etc...

La reconnaissance du soignant passe d’abord par sa participation

L’enjeu commun au Lean et à l’ergonomie est de pouvoir trouver des indicateurs utiles à la production du travail. Si le Lean va pouvoir s’intéresser à la relation du travail rentable, l’ergonomie veut s’impliquer par l’analyse des déterminants qui rendent le travail possible. Le PMSI peut alors être une base de travail commune dans le cadre de la valorisation de l’acte de soin à la différence des indicateurs HAS trop éloignés de la réalité du travail. Les transmissions indispensables entre soignants pourront être valorisées par ce biais.
L’engagement participatif des opérateurs soignants, cher à Estryn-Behar, a été trop souvent abordé de manière théorique et marginalisé dans les implantations Lean hospital. Or le Lean et l’ergonomie ont de ça en commun qu’ils entendent vouloir faire participer le soignant dans l’implantation de nouveaux formats d’organisation du travail. Ils savent, tous deux, que la pérennité d’un projet passe par l’acceptation et l’appropriation par les soignants eux-mêmes. Pour ceux qui soutiennent que le lean n’est pas loin de correspondre à la fin de l’histoire de l’ergonomie, étayant ainsi la thèse de la correspondance, ou ceux qui y voient une nouvelle représentation du taylorisme, et la nouvelle menace contre laquelle combattre (Bourgeois, 2010), les ergonomes peuvent collaborer sans fourvoyer leurs principes fondamentaux. Même si pour tous les cas où le patient doit faire face à des décisions lourdes, ces constatations s’inscrivent contre une conception systématique des soins à la chaîne, clos par une décision immédiate (Froment, 2001). Ughetto nous met également en garde sur le fait que cela peut aussi conduire à revaloriser l’intérêt pour les conditions matérielles de travail des ouvriers et se traduire par une obsession de la réduction des temps jugés improductifs en obligeant l’activité humaine à s’y plier et à s’exercer sans relâchement.

Pour conclure, reprenons les propos de Bourgois (2012), « pour convaincre, [l’ergonomie] doit prêter attention à la compréhension des référents notionnels du Lean (activité empêchée, activité subjectivante, pouvoir d’agir, marge de manœuvre, organisation capacitante, régulations…). Par ailleurs, les moyens actuels de conception n’offrent pas vraiment d’autres choix aux ingénieurs et techniciens que de réduire le modèle opérant à un standard ». L’ergonomie a le pouvoir de rendre déterminante et centrale l’activité des soignants souvent dévalorisés dans leurs tâches alors qu’ils sont fiers de leur profession (Estryn-Behar, 2011) ; ne serait-ce que par le respect, la compassion et l’amour qu’ils conçoivent comme compétences nécessaires de leur activité (Froment, 2001).

NS.

Balint, M. (1960). Le médecin, son malade et la maladie. PUF, Paris

Berczuk, C. (2008) The Lean Hopsital. The Hopsitalist, an official publication of the society of hospital medicine – SHM. Wiley. Lien au 16.05 2013

Bourgeois, F., & Gonon, O. (2010). Le lean et l’activité humaine. Quel positionnement de l’ergonomie, convoquée par cette nouvelle doctrine de l’efficacité ? Activités, 7 (1), pp. 136-142. http://www.activites.org/v7n1/v7n1.pdf

Bourgeois, F. (2012). Que fait l’ergonomie que le lean ne sait / ne veut pas voir ? Activités,

Cima, R.R. & al. (2011). Use of Lean and Six Sigma Methodology to ImproveOperating Room Efficiency in a High-VolumeTertiary-Care Academic Medical Center. J Am Coll Surg ;213:83–94

Estryn-Behar, M., Chaumon, E., Garcia, F., Milanini-Magny, G., Bitot, Th., Ravache, A.E., & Deslandes, H. (2011). Isolement, parcellisation du travail et qualité des soins en gériatrie. Activités, 8(1), pp. 77-103, http://www.activites.org/v8n1/v8n1.pdf

Estryn-Behar, M. (2011). Ergonomie hospitalière. Théorie et pratique, seconde édition actualisée. Ed. Octarès. Toulouse. 695p.

Froment, A. (2001). Pour une rencontre soignante. Ed. des Archives Contemporaines. Paris. 219p.


Ughetto, P. (2012). Le lean : pensée et impensé d’une activité sans relâchement. Activités, 9(2), 148-167, http://www.activites.org/v9n2/v9n2.pdf

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