Ici, le titre anglo-saxon est voulu car
l’implantation Lean a trouvé son terrain d’application dans ces pays où les
hôpitaux sont régis par des systèmes de santé comme le modèle nord-américain(Cima,
2011; Mullaney,2010). Ce débat soulève la question du profil client du patient
presque prédominante dans ce dit modèle. D’autant plus que la « demande du
client » justement détermine tout le mode de production dans la démarche
Lean. Mais les intérêts de clientèle ont toujours été dans tous les modes de gestion de santé.
Ils ne sont « pas critiquables en soi, tant qu’on ne leur donne pas la
priorité sur les intérêts des soignés » (Froment, 2001).
Le Lean hospital entend vouloir intervenir
sur les notions de gestion de gaspillage, de limitations des déplacements, de
réduction de temps d’activité du soin. L’enjeu ici n’est pas d’analyser de
manière exhaustive les différents paramètres que ces 3 principales notions
sous-entendent. A l’image du modèle d’activité du « soigner aux » 5
carrés, il s’agit de démontrer l’apport de l’observation ergonomique dans un
process organisationnel tel que le Lean.
Exemple de la gestion du temps dans la
relation soignante
C’est un indicateur connu de tous les
hôpitaux mais qui est très peu reconnu dans leur performance. Tout d’abord la
notion du temps pour le soignant a un aspect paradoxal. La forme la plus
usuelle de la disponibilité temporelle du soignant consiste à laisser la relation
soignant-soigné prendre le développement nécessaire au bien du soigné sans lui
fixer, à priori, de bornes. Le Lean aura du mal à se développer car ses
fondements sont totalement remis en cause. D’un autre côté « c’est souvent
seulement par le temps qu’il lui consacre que le soigné peut mesurer l’intérêt
que le soignant lui porte » (Froment, 2001). La notion Lean s’y retrouve
plus facilement par cet aspect où quantifier le temps serait un indicateur
nécessaire à la possible efficacité de la relation même si quantifier le soin
reste tout de même encore très difficile à réaliser (Berczuk, 2008)
Mais il y a aussi le temps d’écoute du
patient, primordial dans la relation qui connait une variabilité conséquente.
Par exemple, si le médecin pose des questions selon la technique de la prise
d’une anamnèse, il obtiendra toujours des réponses, mais presque rien d’autre.
Avant de pouvoir arriver à ce que Froment appelle un diagnostic approfondi, il
doit apprendre à écouter. (Balint, 1960). Ici, trouver des indicateurs
permettant au Lean de se développer car l’écoute comme le souligne Kleinman est
« un acte moral et non un procédé technique » et donc difficilement
objectivable en termes de production de travail. Le temps nécessaire pour
acquérir les informations pour le soignant aurait pu être évoqué dans l’aspect
très variable et la nécessaire collaboration Lean-ergonomie que cela impose.
Le patient est un client ? pour
qui ? pourquoi ?
Ce phénomène de clientèle, cher au Lean, est capital pour comprendre une source
particulière de résistance à la participation de la personne soignée aux
décisions la concernant (Froment, 2011). En effet, tous les soignants vont
considérer le patient comme le sujet de la raison à produire un travail et non
pas comme une relation soignante du travailler-ensemble. Cette notion est
renforcée par la loi du 4 mars 2002 relatives aux droits des malades et cela
peut devenir une des limites de l’implantation du Lean. Cette loi a réalisé un
tournant dans le statut du patient et le responsabilise le client-patient par
l’idée du devoir sous-entendu : devoir de savoir, de collaborer, etc...
La reconnaissance du soignant passe d’abord
par sa participation
L’enjeu commun au Lean et à l’ergonomie est
de pouvoir trouver des indicateurs utiles à la production du travail. Si le
Lean va pouvoir s’intéresser à la relation du travail rentable, l’ergonomie
veut s’impliquer par l’analyse des déterminants qui rendent le travail
possible. Le PMSI peut alors être une base de travail commune dans le cadre de
la valorisation de l’acte de soin à la différence des indicateurs HAS trop
éloignés de la réalité du travail. Les transmissions indispensables entre
soignants pourront être valorisées par ce biais.
L’engagement participatif des opérateurs
soignants, cher à Estryn-Behar, a été trop souvent abordé de manière théorique
et marginalisé dans les implantations Lean hospital. Or le Lean et l’ergonomie
ont de ça en commun qu’ils entendent vouloir faire participer le soignant dans
l’implantation de nouveaux formats d’organisation du travail. Ils savent, tous
deux, que la pérennité d’un projet passe par l’acceptation et l’appropriation
par les soignants eux-mêmes. Pour ceux qui soutiennent que le lean n’est pas
loin de correspondre à la fin de l’histoire de l’ergonomie, étayant ainsi la
thèse de la correspondance, ou ceux qui y voient une nouvelle représentation du
taylorisme, et la nouvelle menace contre laquelle combattre (Bourgeois, 2010),
les ergonomes peuvent collaborer sans fourvoyer leurs principes fondamentaux.
Même si pour tous les cas où le patient doit faire face à des décisions
lourdes, ces constatations s’inscrivent contre une conception systématique des
soins à la chaîne, clos par une décision immédiate (Froment, 2001). Ughetto
nous met également en garde sur le fait que cela peut aussi conduire à
revaloriser l’intérêt pour les conditions matérielles de travail des ouvriers
et se traduire par une obsession de la réduction des temps jugés improductifs
en obligeant l’activité humaine à s’y plier et à s’exercer sans relâchement.
Pour conclure, reprenons les propos de
Bourgois (2012), « pour convaincre, [l’ergonomie] doit prêter attention à
la compréhension des référents notionnels du Lean (activité empêchée, activité
subjectivante, pouvoir d’agir, marge de manœuvre, organisation capacitante,
régulations…). Par ailleurs, les moyens actuels de conception n’offrent pas vraiment
d’autres choix aux ingénieurs et techniciens que de réduire le modèle opérant à
un standard ». L’ergonomie a le pouvoir de rendre déterminante et centrale
l’activité des soignants souvent dévalorisés dans leurs tâches alors qu’ils
sont fiers de leur profession (Estryn-Behar, 2011) ; ne serait-ce que par
le respect, la compassion et l’amour qu’ils conçoivent comme compétences
nécessaires de leur activité (Froment, 2001).
NS.
Balint, M. (1960). Le médecin, son malade
et la maladie. PUF, Paris
Berczuk, C. (2008) The Lean Hopsital. The
Hopsitalist, an official publication of the society of hospital medicine – SHM.
Wiley. Lien au 16.05
2013
Bourgeois, F., & Gonon, O. (2010). Le
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cette nouvelle doctrine de l’efficacité ? Activités, 7 (1), pp. 136-142. http://www.activites.org/v7n1/v7n1.pdf
Bourgeois, F. (2012). Que fait l’ergonomie
que le lean ne sait / ne veut pas voir ? Activités,
9(2), 138-147, http://www.activites.org/v9n2/v9n2.pdf
Cima, R.R. & al. (2011). Use of Lean
and Six Sigma Methodology to ImproveOperating Room Efficiency in a
High-VolumeTertiary-Care Academic Medical Center. J Am Coll Surg ;213:83–94
Estryn-Behar, M., Chaumon, E., Garcia, F.,
Milanini-Magny, G., Bitot, Th., Ravache, A.E., & Deslandes, H. (2011). Isolement,
parcellisation du travail et qualité des soins en gériatrie. Activités, 8(1),
pp. 77-103, http://www.activites.org/v8n1/v8n1.pdf
Estryn-Behar, M. (2011). Ergonomie
hospitalière. Théorie et pratique, seconde édition actualisée. Ed. Octarès.
Toulouse. 695p.
Froment, A. (2001). Pour une rencontre
soignante. Ed. des Archives Contemporaines. Paris. 219p.
Mullaney, K. (2010). Improving the
Process of Supplying Instruments to the Operating Room Using the Lean Rapid
Cycle Improvement Process. Perioperative Nursing Clinics, 5(4), 479-87
Ughetto, P. (2012). Le lean : pensée et
impensé d’une activité sans relâchement. Activités, 9(2), 148-167, http://www.activites.org/v9n2/v9n2.pdf
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